Napoléon Bonaparte

On the relative role of chance versus management, assessed by the master of management, Napoléon Bonaparte

The following text is only in French available

INTRODUCTION au livre « Les misères de Napoléon »
Lorenzi de Bradi
Editions Tallandier (1934)

par

Napoléon Bonaparte

English summary: In this preface to the book, Napoleon remarkably stresses the fact that his strategy has been more to exploit transient opportunities from random historical occurrences than to manage them.

Cette vérité historique, tant implorée, a laquelle chacun s'empresse d'en appeler, n'est trop souvent qu'un mot ; elle est impossible au moment même des événements, dans la chaleur des passions croisées ; et si, plus tard, on demeure d'accord, c'est que les intéressés, les contradicteurs, ne sont plus. Mais qu'est alors cette vérité historique, la plupart du temps? Une fable convenue, ainsi qu'on l'a dit fort ingénieusement.

Dans toutes ces affaires, il est deux portions essentielles fort distinctes : les fait matériels et les intentions morales. Les faits matériels sembleraient devoir être incontroversables; et, pourtant, voyez s'il est deux relations qui se ressemblent: il en est qui demeurent des procès éternels. Quant aux intentions morales, le moyen de s'y retrouver, en supposant même de la bonne foi dans les narrateurs? Et que sera-ce, s'ils sont mus par la mauvaise foi, l'intérêt et la passion? J'ai donné un ordre: mais qui a pu lire le fond de ma pensée, ma véritable intention? Et, pourtant, chacun va se saisir de cet ordre, le mesurer à son échelle, le plier à son plan, à son système individuel. Voyez les diverses couleurs que va lui donner l'intrigant dont il gêne ou peut, au contraire, servir l'intrigue, la torsion qu'il va lui faire subir. Il en sera de même de l'important à qui les ministres ou le souverain auront confidentiellement laissé échapper quelque chose sur le sujet ; il en sera de même des nombreux oisifs du palais qui n'ayant rien de mieux à faire que d'écouter aux portes, inventent, faute d'avoir entendu. Et chacun sera si sûrs, à leur tour. Et, alors, les mémoires et les agendas et les bons mots et les anecdotes de salon d'aller leur train…

Voilà pourtant l'Histoire! J'ai vu me disputer, à moi, la pensée de ma bataille, me disputer l'intention de mes ordres et prononcer contre moi. N'est-ce pas le démenti de la créature vis-à-vis de celui qui a créé? N'importe, mon contradicteur, mon opposant aura ses partisans. Aussi est-ce qui m'a détourné d'écrire mes mémoires particuliers, d'émettre mes sentiments individuels, d'où fussent d'écoulées naturellement les nuances de mon caractère privé. Je ne pouvais descendre à des confessions à la Jean-Jacques, qui eussent été attaquées par le premier venu. Aussi, j'ai pensé ne devoir dicter à vous autres ici que sur les actes publics. Je sais bien encore que ces relations mêmes peuvent être combattues ; car quel est l'homme, ici-bas, quel que soit son bon droit et la force et la puissance de ce bon droit, que la partie adverse n'attaque et ne démente? Mais aux yeux du sage, de l'impartial, du réfléchi, du raisonnable, ma voix, après tout, vaudra bien celle d'un autre, et je redoute peu la décision finale. Il existe, dès aujourd'hui, tant de lumières que, quand les passions auront disparu, que les nuages seront passés, je m'en fie à l'éclat qui restera.

Mais que d'erreurs intermédiaires! On donnera souvent beaucoup de profondeur, de subtilité de ma part à ce qui ne fut, peut-être, que le plus simple du monde ; on me supposera des projets que je n'eus jamais! On se demandera si je visais en effet à la monarchie universelle ou non. On raisonnera longuement pour savoir si mon autorité absolue et mes actes arbitraires dérivaient de mon caractère ou de mes calculs, s'ils étaient produits sur mon inclination ou par la force des circonstances, si mes guerres constantes vinrent de mon goût, ou si je n'y fus conduit qu'à mon corps défendant, si mon immense ambition, tant reprochée, avait pour guide ou l'avidité de la domination, ou la soif de la gloire, ou le besoin, ou l'amour du bien-être général, car elle mérite d'être considérée sous ces diverses faces. On se débattra sur les motifs qui me déterminèrent dans la catastrophe du duc d'Enghien, et ainsi d'une foule d'autres événements. Souvent, on alambiquera, on tordra ce qui fut tout à fait naturel et entièrement droit!

Il ne m'appartient pas à moi de traiter ici spécialement de tous ces objets : ils seraient mes plaidoyers et je les dédaigne. Si, dans ce que j'ai dicté sur les matières générales, la rectitude et la sagacité des historiens y trouvent de quoi se former une opinion juste et vraie sur ce que je ne mentionne pas, tant mieux. Mais, à côté de ces faibles étincelles, que de fausses lumières dont ils se trouveront assaillis! …depuis les fables et les mensonges des grands intrigants qui ont eu chacun leurs buts, leurs menées, leurs négociations particulières, lesquelles s'identifient avec le fait véritable, compliquent le tout d'une manière inextricable, jusqu'aux révélations, aux «portefeuilles», aux assertions même de mes ministres, honnêtes gens qui, cependant, auront à donner bien moins ce qui était que ce qu'ils auront cru, car en est-il qui aient eu ma pensée générale tout entière? Leur portion spéciale n'était, la plupart du temps, que des éléments du grand ensemble qu'ils ne soupçonnaient pas. Ils n'auront donc que la face d'un prisme qui leur est relative, et, encore, comment l'auront-ils saisie? Leur sera-t-elle pas elle-même morcelée? Et, pourtant, il n'en est probablement pas un qui, d'après les éclairs dont il aura été frappé, ne donne pour mon véritable système le résultat fantastique de ses propres combinaisons ; et de là encore la fable convenue qu'on appellera l'Histoire, et cela ne saurait être autrement ; il est vrai que, comme ils sont plusieurs, il est probable qu'ils seront loin d'être d'accord. Du reste, dans leurs affirmations positives, ils se montreraient plus habiles que moi, qui très souvent aurais été très embarrassé d'affirmer avec vérité toute ma pleine et entière pensée. On sait que je ne me butais pas à plier les circonstances à mes idées, mais que je me laissais en général conduire par elles : or, qui peut, à l'avance, répondre des circonstances fortuites, des accidents inopinés? Que de fois j'ai donc dû changer essentiellement! Aussi ai-je vécu de vues générales, bien plus que de plans arrêtés. La masse des intérêts communs, ce que je croyais être le bien du très grand nombre, voilà les ancres auxquelles je demeurais amarré, mais autour desquelles je flottais la plupart du temps au hasard. Napoléon

JavaScript has been disabled in your browser